Une navette relie les îles grecques au Vieux-Port en quinze minutes. Absolument.
Le Frioul, l'un de mes endroits favoris à Marseille n'est même pas vraiment à Marseille. Enfin si, puisqu'il est administrativement intégré au 7e arrondissement, mais c'est un peu comme quand on dit que la Grande-Bretagne est en Europe ou la Corse en France : c'est une convention pratique. J'ai d'ailleurs vaguement envisagé d'y chercher un appartement en descendant du TGV, mais je me suis vite ravisé parce que même un loup solitaire dans mon genre a besoin de compagnie à l'occasion.
Il s'agit en fait d'un mini-archipel de 200 hectares, relié au Vieux-Port en quinze minutes par une navette maritime aux horaires aléatoires, homonyme d'une région d'Italie avec lequel il n'a absolument rien à voir. 200 hectares de calcaire où rien ne pousse ou presque et qui donnent l'impression d'avoir été transporté sur une île grecque sans les six heures d'attente dans le hangar lugubre qui sert de terminal à Ryanair à l'aéroport de Marignane.
Étonnamment, les touristes sont peu nombreux à s'y rendre et les Marseillais eux-mêmes le visitent à peu près aussi souvent que les Parisiens escaladent la tour Eiffel. Du coup, il y a toujours une calanque miniature et baignée de soleil absolument déserte pour vous accueillir avec votre serviette-éponge et votre bouteille de Cristaline, y compris en plein mois d'août. Les uns et les autres préfèrent manifestement faire escale au château d’If, qui fait aussi partie du lot et est desservi par la même navette, mais qui rend mieux sur les cartes postales et parle plus à l'imagination depuis que Dumas y a enfermé Depardieu.
Encore que : tous les Marseillais n'ont pas ces références un poil trop littéraires, comme cette nana de la bijouterie des Galeries Lafayette du Centre Bourse, à qui j'ai apporté ma montre à réparer l'autre jour :
— C'est quoi votre adresse ?
— XXX rue Monte-Cristo
— Cristo ? Avec un « o » ou « au » ?
— Ben Monte-Cristo... Comme dans « Le comte de... », quoi...
— Connais pas...
— Le château d'If, vous connaissez ?
— Vous habitez au château d'If ?
— Ok. Monte-Cristo avec un « o »...
Mais je m'éloigne de mon sujet. Le Frioul, donc, c'est surtout deux îles principales, Pomègues et Ratonneau, tenues ensemble par une digue en béton, et livrées aux Gabians (des goélands qui parlent avec l'accent) et à la poignée de résidents permanents (une centaine, des retraités pour la plupart) de la vilaine petite marina aux allures de cité HLM dont Gaston Defferre avait autorisé la construction un jour qu'il avait probablement forcé sur le Ricard.
De vrais HLM, d'ailleurs, dans certains cas, que la mairie attribue, dans la grande tradition locale, à des amis politiques pour qu'ils en fassent leur résidence secondaire à 300 euros par mois ou les sous-louent à des Américains via Airb'n'b en saison.
On y trouve aussi les vestiges d'un hôpital militaire qui servait à parquer les pestiférés pendant les épidémies et à placer les matelots enrhumés en quarantaine le reste du temps, quelques ruines d'installations militaires, des bunkers édifiés par les Allemands pendant la guerre, une ferme à poissons planquée dans une crique, et c'est tout. L'hôpital militaire, en cours de restauration depuis l'époque où la première pierre de la Sagrada familia a été posée, mais dont on subodore que la fameuse cathédrale catalane sera achevée avant lui, est justement mon plus beau fantasme marseillais : je le verrai bien transformé en villa Médicis locale dont je serais le premier résident. Ou peut-être même le patron (c'est un fantasme, je vous dis).
L'ex-futur maire PS de la ville, Patrick Mennucci, avait d'ailleurs pas mal de projets de développement pour le Frioul, comme la construction de nouveaux logements et l'ouverture de nouveaux restaurants, mais tout ça est tombé à l'eau avec sa défaite cuisante. Pour les écolos fondamentalistes du cru, avec lesquels je ne suis pas souvent d'accord parce que je suis climato-sceptique, pro-nucléaire et amateur de côte de bœuf saignante, ça aurait été une grave erreur de toute manière parce qu'il y a bien assez de friches moches sur lesquelles construire dans Marseille avant d'aller saloper ce petit Eden. Ils n'ont peut-être pas tort, sur ce coup. Et ce bétonneur compulsif qu'est Jean-Claude Gaudin en sauveur du paradis, ça vaut le coup d'être signalé.
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Note : le titre de ce billet est assez lamentable, je suis ouvert aux suggestions.
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