Les guides touristiques ont-ils une section « Marseille by night » ?
« Barcelone le jour, Barcelonette la nuit », c'est la vanne de rigueur –dont on ne sait plus vraiment qui l'a sortie en premier parce que c'est un peu comme ces blagues de Toto dont on serait bien en peine de retrouver l'auteur– décrivant l'intensité de la vie nocturne marseillaise.
Elle n'est pas vraiment justifiée, la capitale catalane étant notoirement plus animée en journée que Marseille et le petit patelin alpin qui lui a piqué son nom par dérision à peine moins en soirée, mais elle donne tout de même une bonne idée de la situation.
Avec ses 850 000 habitants sur 240 km2 (deux fois la superficie de Paris intra-muros), Marseille est essentiellement un gros village plan-plan dont les trottoirs ferment à l'heure de la fin du journal télévisé, exception faite des deux ou trois micro-quartiers où se retrouvent les insomniaques infichus de trouver le sommeil aussi tardivement. Il y a le cours d'Estienne d'Orves, bien sûr, cette vaste place à l'italienne proche du Vieux-Port, avec ses pizzerias, son MacDo, ses pubs irlandais et son Buffalo Grill ; et le cours Julien, avec ses concentrations de punks à chiens et son petit réseau de venelles bordées de gargotes proposant le même confit de canard industriel.
Ah, j'oubliais, il y a aussi le Lonchamp Palace, le bistrot hipster du boulevard du même nom qui tente vaillamment de recréer l'atmosphère de la rue Oberkampf dans son artère déserte et mérite donc le titre de quartier de nuit honoraire à lui tout seul.
N'étant pas du genre fêtard, je m'en accommode plutôt bien, même si de me voir refuser une table à 22 heures parce que la cuisine est fermée, le chef déjà rentré chez lui et qu'on va commencer à ranger la terrasse peut me gonfler à l'occasion... Mais j'aime aussi me balader à la fraîche, les gros rats noirs faisant leur marché autour des poubelles qui débordent pour seule compagnie, et cette atmosphère de ville fantôme est parfois un poil pesante.
« Et ils sont où les Marseillais ? » je me demande alors, à la façon d'un supporter sarcastique du PSG un jour de débâcle de l'OM, « Ils sont où ? ». Ils ne sont pas dans les rues, OK, c'est logique puisque tout est fermé. Mais sont-ils même chez eux ? Difficile à dire quand l'absence de lumière traversant les persiennes closes des immeubles vous force à jeter un deuxième coup d’œil à votre montre en sortant du ciné pour vérifier que non, pas du tout, il n'est pas encore quatre heures du matin.
Il y a bien des locaux que ça dérange, sans doute ceux qui –mais ils ne s'en vantent guère, on a sa fierté phocéenne– sont un jour allés faire un tour à Aix et ont pu constater que la tombée de la nuit ne transformait pas nécessairement les gens en vampire ou en loup-garou. Mais je les soupçonne d'être légèrement hypocrites : s'ils avaient vraiment envie de sortir le soir, j'imagine qu'ils le feraient. Comme les Barcelonais, ils arpenteraient les rues et les avenues bras-dessus bras-dessous et, qui sait, les limonadiers finiraient par s'en rendre compte et ne rangeraient plus leurs terrasses au moment où les poules vont se coucher.
Mais comme d'hab, j'exagère toujours somewhat et un reste d'honnêteté m'oblige à préciser qu'il existe tout de même, à Marseille, une poignée de lieux de nuit authentiques : les bars à entraîneuses qui bordent l'opéra, par exemple, et dont le gros du chiffre d'affaires est assuré par les matelots de l'US Navy qui font régulièrement escale à la Joliette (ça doit être pour ça qu'on les appelle des bars américains), ne méritent pas que l'on passe leur existence sous silence.
Pas plus que les trois boîtes à musique live (oui, bien TROIS, pas quatre ou cinq) qui constituent probablement l'essentiel de la rubrique « Marseille by night » du Petit-Fûté (je n'ai pas vérifié) et rendent l'existence des oiseaux de nuit plus supportable. Parce qu'il m'arrive d'accompagner l'un d'entre eux dans ses virées, je connais d'ailleurs désormais le circuit par cœur : d'abord l'Uppercut de la rue Sainte, une sorte de bar à jazz où, effectivement, il y a parfois du vrai jazz ; puis le Molotov du quartier de la Plaine, où il y a parfois de vrais cocktails Molotov ; puis les Demoiselles du Cinq de la rue de l'Arc, où il y a toujours au moins cinq demoiselles, c'est sûr, mais dont le sous-sol voûté rappelle davantage les trains fumeurs d'antan que les caves de Saint-Germain des Prés et dont l'on émerge les cheveux parfumés au tabac (si l'on a des cheveux, ça va sans dire).
Marseille étant une ville de rebelles, on peut évidemment faire le circuit dans l'autre sens, mais de toute manière, on y retrouve à peu près les mêmes gens qui disent à peu près les mêmes choses :
– Tiens, t'es là ! Ca va ? J'arrive de l'Uppercut mais c'est mort ce soir...
– Ici aussi. Je pensais peut-être faire un tour au Molotov...
– Ouh la non ! J'en viens, y a dégun. Tu veux pas plutôt passer aux Demoiselles du Cinq...
– Bof, j'y étais tout à l'heure, y avait pas grand monde. Je vais rester encore un peu pour voir si ça se met à bouger..
« Barcelone le jour, Barcelonette la nuit »... Je n'aurais pas dit mieux. Tiens, je vais dire que c'est moi qui l'ai inventée, celle-là. Après tout, j'ai bien inventé la plupart des blagues de Toto.
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