Ok, nos ingénieurs sont les meilleurs du monde. Mais les Japonais ne sont pas les derniers de la classe non plus (croyait-on)…
Je n’apprécie pas beaucoup l’opportunisme malsain avec lequel les anti-nucléaires professionnels se sont engouffrés dans la brèche du coffrage des réacteurs de Fukushima. Ce « je vous l’avais bien dit » sarcastique, qui permet d’affoler les foules en suggérant que Fessenheim n’est pas à l’abri d’un tremblement de terre de magnitude 8,9 immédiatement suivi d’un tsunami, est d’un grotesque achevé.
Bien sûr, ça aide la CRIIRAD à vendre des compteurs Geiger par correspondance, mais c’est tout le contraire d'un débat éclairé. Ou alors à la bougie, pour rester dans l’argument fastoche.
C’est comme cette idée qu’il suffirait d’installer une demi-douzaine d’éoliennes et quatre ou cinq panneaux solaires pour alimenter en électricité un pays moderne et fortement industrialisé de la taille de la France sans se ré-intoxiquer au charbon et au pétrole ! Le réchauffement de la planète et les émissions de CO2 ont beau être moins tendance ces jours-ci, il y a trois semaines encore, c’était plutôt ça, la grande trouille millénariste à la Une.
Pour autant, plus le temps passe et plus la façon dont les ingénieurs japonais se révèlent incapables de gérer la catastrophe introduit un doute sur la capacité des nôtres à s’occuper d’un drame à moindre échelle. Les images d’hélicos tentant de remplir une piscine olympique à la petite cuillère, le boss de Tepco prenant un arrêt maladie pendant la crise et un management s’emmêlant les pinceaux entre milliers et millions de « millisieverts » (l’unité de mesure de radiations ionisantes), ça déstabiliserait jusqu’au plus placide des Georges Charpak.
Un peu comme un leader syndical qui confondrait millions et milliards de brouzoufs, quoi…
Oui, la France n’est pas située sur une faille sismique majeure mais rien ne permet d’affirmer que les crânes d’œufs d’Areva, d’EDF et du CEA sont plus au fait des risques spécifiques à l’Hexagone. Toutes choses égales par ailleurs, Renault confie sa sécurité à des mythomanes et ce n’est pas non plus une PME de quartier gérée par des stagiaires en contrat de qualification.
A l’inverse du Français contemporain, qui se méfie de tout et de tout le monde, je suis d’un naturel confiant et respectueux du « système » : je ne crois pas qu’il faille balancer toutes nos institutions à la poubelle pour tester le mirage lepéno-mélenchoniste parce que les banques américaines ont prêté de l’argent à n’importe qui ; je me suis fait vacciner contre la grippe H1N1 l’an dernier parce que Roselyne me le demandait gentiment ; je vote à chaque élection ; je pratique le tri sélectif parce que ma cuisine Ikea est aménagée en conséquence ; j’ai arrêté de frauder dans le métro dès que je n’ai plus eu besoin de m’asperger de Biactol pour lutter contre l’excès de sébum…
La confiance, toutefois ― et c’est que je me tue à répéter à mes rejetonnes qui ont parfois l’air d’en douter ―, c’est un truc qui se mérite. Et en matière nucléaire, on n’est pas si certain de pouvoir accorder la sienne sans réserve à des gens constamment pris en défaut pour une myriade de petits incidents isolément négligeables mais qui pourraient n’être que la fameuse partie émergée de l’iceberg (oui, c’est un cliché plus adapté à un papier sur la fonte de la banquise, mais il évoque aussi le Titanic et reste donc pertinent).
Fuites « sans gravité », opacité des conditions du recours à la sous-traitance, sécurité aléatoire de certaines centrales (des alpinistes de Greenpeace qui s'offrent la face nord d'un réacteur, est-ce que c’est bien sérieux ?), absence de transparence générale, discours lénifiant des politiques… Le brave type confiant dans mon genre, qui n’a rien contre le nucléaire en soi parce qu’il n’a guère de sympathie pour l’obscurantisme et accepte le concept d’activités humaines à risque, est forcément interpellé par les aspects brouillons d’un secteur qu’on aimerait irréprochable.
La foi dans les élites techniciennes ― le fameux génie (littéralement) français usiné à Centrale, à Polytechnique, aux Mines et aux Ponts ― est aussi constitutive de l’identité nationale que le goût pour le camembert ou le couscous. Tant que l’on est convaincu qu’elles maîtrisent leur sujet, on dort sur nos deux oreilles sans somnifère. Mais quand on voit leurs cousins nippons, qui ne sont tout de même pas les derniers des derniers non plus, courir comme des poulets sans tête parce qu’ils n’ont pas la moindre idée de ce qu’il faudrait faire pour éteindre l’incendie, on se prend à douter.
Et le doute, au moins dans ce cas, on ne sait plus vraiment s’il doit profiter à l’accusé.
© Commentaires & vaticinations
Article rédigé pour Atlantico
Juste pour chipoter, greenpeace a escaladé une tour de refroidissement, qui ne contient que de la vapeur d'eau. Le réacteur, c'est le gros cylindre de béton fermé à son sommet, et il n'est pas dit qu'il soit aussi facile d'accès...
Le problème n'est pas que les élites actuelles maitrisent le sujet ( depuis le temps qu'on bosse dessus, on commence à savoir un peu comment ça marche ), mais que quand la catastrophe atteint un merdier du niveau du japon elles savent que ça va être chaud à rattraper. Toute la question est de savoir si actuellement, on a les moyens et surtout l'objectif d'éviter d'en arriver là, plutôt que de gratter des sous sur la maintenance...
Rédigé par : FFB | mercredi 30 mars 2011 à 11:50
Cher Hugues
Il est indéniable que des protocoles de sécurité ont été établis dans le cadre de problème survenant à l'intérieur d'une centrale nucléaire (comme pour d'autres types d'établissements d'ailleurs). Si le voyant passe de vert à rouge, alors on applique les consignes de la page 243.
Hélas, trois fois hélas, les accidents/sabotages/erreurs sont innombrables et il ne doit être guère possible de tous les répertorier et de prévoir une mesure adaptée à chacun. Sans doute existe t'il des mesures pour des typologies de problèmes sans trop rentrer dans les détails, mais cela laisse une part d'interprétation sur la mise en place des mesure à l'équipe en charge au moment des-dits problèmes.
Pour Fukushima, la conjonction d'un tremblement de terre (phénomène naturel très fréquent au Japon et donc pris en compte) de forte intensité suivi d'un Tsunami (phénomène également présent dans cette partie du monde, mais pas forcément à cette échelle) fait sans doute partie des scénarios les plus noir prévu dans la gestion des risques. Y a t'il eu défaillance des procédures qui auraient du être mises en place pour des raisons X ou Y (par exemple, on avait pas prévu que les routes seraient dévastées, ce qui limiterait les moyens d'accès, que la production électrique en nette diminution ne serait pas suffisante pour alimenter les systèmes de sécurité, etc...) ou bien dans certains cas comme celui-ci il n'existe pas de réelles mesures à prendre autre que bricoler des solutions un peu à tâtons (l'exemple de la station Deepwater il y a tout juste un an, avec les deux mois de flottement entre l'accident et la mise en place d'un bouchon est bien une illustration de cette impuissance/mauvaise préparation dans une autre économie développée et pas spécialement en retard sur une plan technologique).
Rédigé par : SEB813 | mercredi 30 mars 2011 à 12:01
Je vois que nous avons les mêmes source sociologiques.
Rédigé par : Rubin | mercredi 30 mars 2011 à 13:52
(Enfin un endroit ou discuter du probleme, les commentaires du monde.fr ressemblent de plus en plus a ceux de Rue89).
J ajouterai:
- contrairement a Tchernobyl ou Three Mile Island ou un reacteur etait en faute, le probleme concerne la 4 reacteurs en meme temps, c'est multiplier la difficulte. Exemple: l explosion du 3 a endommage le 4...
- on est seulement a deux semaines apres le debut du probleme. Passe son arrogance typique de premier de la classe (la plus grosse utility au Japon), TEPCO vient d ouvrir la porte aux suggestions diverses, notamment en provenance de l etranger. Quelle est l urgence a tirer des conclusions?
Rédigé par : MC | mercredi 30 mars 2011 à 17:21
Mais le fait que les activistes de Greenpeace aient posé leur banderole au sommet d'un radiateur (parce que c'est bien de ça qu'il s'agit, un radiateur, comme dans ta de nouveau chère bagnole, comme sur ma bécane sauf que le mien, sous la pluie, lui aussi il dégage de la vapeur) est tout sauf un détail. Il se sont introduits dans un endroit peu surveillé parce que peu stratégique, et ont profité de cette ignorance du bon peuple qu'ils entretiennent soigneusement parce qu'elle est leur meilleur atout pour claironner qu'ils démontraient ainsi l'absence de sécurité des centrales.
Or, l'ignorance, ça se soigne et, à mon époque, on faisait ça à coup de Que sais-je ? : http://www.cairn.info/encyclopedies-de-poche.php?POS_DISC=140&TITRE=ALL (et moi, ceux-là, en plus, je les ai gratos). Plus personne ne sait ce que c'est ? Le réflexe s'est perdu ? C'est trop compliqué pour les cerveaux des néo-bacheliers ? Soit : mais, alors, qu'ils se taisent.
Rédigé par : Denys | mercredi 30 mars 2011 à 17:58
"un management s’emmêlant les pinceaux entre milliers et millions de « millisieverts »"
Permettez-moi d'être assez sceptique quant à cette information.
_Soit l'homme en question parlait anglais. Sous pression, dans une langue qui n'est pas la sienne, je peux comprendre l'erreur.
_Soit l'homme parlait japonais, auquel cas l'erreur me parait peu probable. C'est que les japonais n'ont pas leurs unités en multiples de mille. En français, un million est un mot qui remplace "mille mille". En japonais, un million ("hyaku man") se dit "cent dix-mille" ("hyaku" signifie "cent, "man" signifie "dix-mille". "mille" se dit "sen").
Si il y a une source audio ou vidéo de cette erreur, je suis preneur...
Rédigé par : Adrien | jeudi 31 mars 2011 à 07:59
N’empêche, le rubbiatron, c'est dommage qu'on n'en entende plus parler.
Rédigé par : nicolas | jeudi 31 mars 2011 à 11:44
Et en plus l'histoire du nuage-qui-s'est-arrêté-à-la-frontière, ce serait du bidon, du même pas vrai, un canular, une légende urbaine.
http://www.meilcour.fr/general/le-mythe-du-nuage-de-tchernobyl.html
Rédigé par : Monsieur Prudhomme | jeudi 31 mars 2011 à 23:00