Non seulement le roi est nu mais, en plus, il paie ses champignons au prix du caviar. Nous prendrait-on pour des truffes ?
Je viens de faire une terrible découverte : la truffe, ce diamant noir gastronomique, ce pinacle fongique, ce joyau de la couronne culinaire nationale n'est qu'une immense galéjade ! Oui, ce champignon à 2 000 euros le kilo qu'une armée de cochons super entrainés est chargée de flairer dans les chênaies de Dordogne pour assurer la fortune de paysans madrés n'est qu’une vaste et terrible arnaque !
Bon, comme tout le monde, j’avais longtemps présumé que le boudin blanc ou le foie gras « truffés » l'étaient de manière si ridiculement infinitésimale qu'il était normal de ne pas défaillir de plaisir à chaque bouchée ― réveillon après réveillon. Je ne crois guère à l’homéopathie et je me doutais bien que, diluée à 300CH, la plus goûteuse truffe du monde perdrait fatalement l’essentiel de son potentiel gustatif. D’où l’idée, avec quelques camarades de labeur, d’aller défier le royal aliment en son ambassade parisienne officielle ― soit la célèbre « Maison de la truffe » de la place de la Madeleine ― à l’heure du déjeuner. Nous allions voir ce que nous allions voir et les secrets de tuber melanosporum nous seraient enfin révélés.
L’établissement en question, voisin de Hédiard et Fauchon, épiciers bling bling s’il en est, nous paraissait le lieu idéal d’une telle mise à l’épreuve. Le caviar, c’est chez Pétrossian. Le sac de couchage spécial Himalaya, c’est au Vieux-Campeur. La soupe de pois cassés, c’est aux Restaurants du cœur. Ergo, la truffe, c’est à la Maison de la truffe ! Nulle part ailleurs est-elle à ce point mise en valeur. Elle est partout : en natures mortes de petits maîtres périgourdins sur les murs, en boîtes et en flacons sur les étagères et dans les vitrines, en reproduction d’affiches de l’académie royale de botanique pleines de noms latins à sa gloire...
Incidemment, les serveuses de ce véritable truffistan, lorsqu’elles vous escortent jusqu’à votre table, ne lésinent pas sur les petits détails indiquant qu’elles sont davantage les grandes prêtresses d’un culte multiséculaire que les employée d’une gargote pour touristes nippons. Ainsi ne s’adressent-elles à vous qu’à la troisième personne : hé, quoi, c’est tellement plus chic (même si ça passe probablement très au-dessus de la tête du tokyoïte moyen en vadrouille dans la ville-lumière).
― Monsieur voudra-t-il laisser son, hum, blouson au vestiaire ?
― Non merci. Monsieur va juste poser son haut de survêt à capuche de racaille sur le dossier de sa chaise…
― Ces messieurs-dames prendront-ils un apéritif ?
― Non merci. Ces messieurs-dames sont ici pour un test extrêmement important et veulent passer aux choses sérieuses sans autre forme de procès.
― Ah… Très bien. Peut-être ont-ils déjà fait leur choix, alors ?
Notre choix ? Évidemment que nous l’avions fait. L’idée étant de sélectionner le plat le plus neutre possible, histoire de ne pas se polluer les papilles inutilement sans aller jusqu'à croquer directement dans une truffe terreuse comme le premier pourceau venu, l’omelette nous était apparue comme l’excipient le plus pertinent :
― En fait, ces messieurs-dames prendront des omelettes aux truffes. Sont-ils assurés d’en avoir pour leurs dix-neuf euros ?
― Absolument. Il s’agit d’un excellent choix. Enfin, si c’est tout ce que ces messieurs-dames peuvent se permettre, évidemment…
A la Maison de la truffe, on vous prend peut-être pour un plouc avec style, mais le service y est lent. Très lent. « A la cantine du bureau, on en serait déjà au dessert », avait d’ailleurs commencé à grommeler ce béotien d’Olivier en voyant les assiettes arriver jusqu’à notre table, nos mini-omelettes artistiquement disposées au milieu d’une immensité de porcelaine limougeaude. Mais enfin, se plaint-on de l’attente devant le perron céleste, lorsque Saint-Pierre feuillette consciencieusement son gros registre à la recherche de votre patronyme et pendant que les orgues divines résonnent dans le lointain ?
― Non, mais il est déjà 14h30 !
― Tss…
Pour être aux truffes, mon omelette l’était. De fines lamelles brunes y avaient été généreusement incorporées et aucun obstacle ne se tenait plus entre mon impatient palais et le fameux ascomycète. Lentement, les yeux mi-clos afin de concentrer tous mes sens sur la noble saveur (j’aurais même à demi fermé les oreilles si j’avais su m'y prendre), je portais la première rondelle de truffe jusqu’à mes lèvres, en humais le parfum, l’enfournais, la retournais longuement sur ma langue, l’avalais, recommençais plusieurs fois l’opération avant de me rendre à l’évidence : la truffe, ça n’a pas beaucoup de goût et en plus, ça rappelle vaguement la noisette. La noisette ! Une broutille à cinq euros le kilo que l’on croque distraitement et à propos de laquelle seul un malade mental se fendrait d'un article de 6 000 signes… Tu parles d’une déception. La noisette !
Ainsi donc, un tas de gens bâtissent des fortunes sur une sorte de gros champignon mal-fichu pour que des naïfs dans mon genre arrivent en retard en réunion (c’est sûr, à la cantine, c’est beaucoup plus rapide), abusés qu’ils sont par une légende urbaine selon laquelle la truffe serait à la nourriture ce qu’un Cannondale Bad Boy est au vélo de ville ! Incroyable. Mais j’ai décidé de parler. J’ai décidé de dire la vérité au monde. Tant pis si la mafia truffière fait pression sur moi pour que je retire immédiatement ces propos ! Tant pis si l'on me retrouve au fond de la Vézère, les pieds lestés d'une tonne de truffes chinoises importées illégalement ! J’assume ! Dans l’histoire des habits neufs de l’empereur, seul un courageux garçonnet avait su crier la vérité : le souverain s’était fait avoir et se baladait à poil devant tout le monde. Serai-je digne du brave petit ? Évidemment ! La truffe, c’est juste un champignon hors de prix avec à peu près autant de saveur qu’une hostie rassie. Voilà tout.
Tiens, la prochaine fois, on teste le muffin au béluga à 85 euros chez Fauchon. Mais j'annonce la couleur : si ça a le même goût qu'une tartine aux œufs de lump, je refuse de revoter PS aux européennes. Franchement, être à ce point pris pour une truffe, c’est à vous dégoûter d'appartenir à la gauche caviar.
© Commentaires & vaticinations
J'en tire plutôt la conclusion que les truffes de la maison de la truffe ne doivent pas être terrible. car s'il y a bien un ingrédient qui vaut le détour dans la cuisine c'est bien la truffe.
essayez juste ça : des pâtes à la truffe, il en faut pas beaucoup et vous goûterez aux meilleures pâtes que vous n'avez jamais dégusté de toute votre vie.
contrairement au caviar qui est la plus caste arnaque pour snob en mal de snobitude, la truffe vaut ses 2000€ le kilo car avec un kilo vous tenez une vie.
non, non, je ne suis pas membre de l'amicale des cochons truffiers (istes?)
Rédigé par : o o | lundi 27 octobre 2008 à 13:18
La truffe a peu de saveur ! La truffe est un PARFUM.
Donc peu importe la quantité, quand tu la manges ce qui compte est ce qui passe par le nez.
tsssss
Rédigé par : all | lundi 27 octobre 2008 à 13:54
Et la truffe blanche, l'italienne ?
C'est pour moi une expérience récente dans un excellent restau sarde du 8eme arrdt de Paris.
Je n'avais non plus jamais rien "senti", ni goute d'ailleurs, cote truffe noire.
La blanche, ce n'est pas la peine qu'elle soit dans l'assiette, elle embaume (ou empeste, selon) tout le restau des qu'un seul des convives commande un plat aromatise avec cet ingrédient. Ce soir la totalement niguedouille, j'ai alerté toute la tablée d'abord (personne plus au courant que moi) puis le maitre d'hôtel, persuadée d'une fuite de gaz de ville en cuisine. Non Madame, me répondit-on gracieusement, c'est la truffe.
Rédigé par : tilly | lundi 27 octobre 2008 à 13:59
o o,
Non, je n'y crois plus. La truffe a eu sa chance mais maintenant, c'est trop tard. Des pâtes aux truffes ? Jamais !
All,
Il fallait donc que la mange avec le nez ? Ils pourraient donner un mode d'emploi alors, ou la vendre en inhalations... Mais j'ai fait tous les efforts possibles, j'ai admiré, reniflé, etc. No way José. La truffe n'est pas un produit gastronomique mais un concept.
Tilly,
Ah, la truffe blanche sent le gaz ? On savait déjà que les pendus masculins connaissaient une ultime extase. On apprend aujourd'hui que les suicidés au gaz aussi !
Rédigé par : Hugues | lundi 27 octobre 2008 à 14:35
Tout de même, tout de même...
http://www.restaurant-chartron.com/
Mais ça va réouvrir.
Rédigé par : Petruffian | lundi 27 octobre 2008 à 14:41
La truffe il faut la ruminer. C'est au début de Mme Bovary, "comme le goût de la truffe que l'on rumine" qql chose comme ça, je ne retrouve pas le livre chez moi.
Rédigé par : all | lundi 27 octobre 2008 à 15:36
Moi, la dernière fois que j'ai mangé de la truffe, c'était celles que mon voisin paysan m'avait vendues à "prix d'ami". Il faut dire qu'il venait très probablement de les voler sur mon terrain avec son chien truffier. Moi, naturellement, j'ai bien un chien, mais pas truffier. Quoi qu'il en soit, les truffes étaient vraiment fraiches (et noires).
Je vois par conséquent deux problèmes. Premièrement, il fallait prendre des oeufs brouillés. Une omelette, où allons-nous, vraiment! Deuxièmement, il fallait insister sur la fraicheur des parasites. Parce frais et avec des oeufs brouillés, c'est presqu'aussi bon que le caviar, et nettement meilleur que le foie gras.
Rédigé par : 4degresnord | lundi 27 octobre 2008 à 15:55
C'est normal, la saison de la truffe ne commence pas avant novembre, et il vaut mieux attendre janvier pour la déguster. La manger en octobre, c'est comme consommer un fruit à peine mûr.
Rédigé par : Le Nain | lundi 27 octobre 2008 à 16:38
oo,
Pour être du métier, je dirais que la truffe, comme les grands vins est un savant dosage de :
1° D'un produit d'une finesse telle qu'elle est exclusivement réservée à des palais extrêmement dotés en papilles.
2° Du même snobisme qui fait que l'on s'auto suggestionne à trouver "délicieux" un Château MARGAUX, même s'il est d'une année où le maître de chaix s'est lourdement "planté".
Cela procède du même phénomène qu'en politique :
Quand on est dépourvu de neurones (ou de papilles), on s'en sort quand même en ayant recours aux étiquettes.
Mon sentiment :
Les produits nobles (Champagne, Sauternes, Caviar, Truffes, etc.) ne tolèrent pas la médiocrité et pourtant...
Rédigé par : Ozenfant | lundi 27 octobre 2008 à 18:11
Exact, c'est aux oeufs brouillés qu'il faut la manger. Mais je crains qu'en l'occurrence il s'agissait de truffes d'été, qui sont assez insipides ; de toutes façons, il faut les manger fraîches ! Pour ce qui est du caviar, prenez de l'osciètre (rapport qualité/prix). Et le foie gras, c'est poêlé qu'il est le meilleur.
Rédigé par : cdc | mardi 28 octobre 2008 à 10:18
Les gouts et les couleurs ça ne se discute pas, mais l'absence de gout, c'est sur ça doit être décevant.
Quelle idée aussi, de manger des truffes "à la maison de la truffe". Je n'ai jamais mangé pire fois gras que celui servi dans les restaurants périgourdins. Le plus mauvais (sisi, mauvais!) cassoulet qu'on m'ait jamais servi, c'était à toulouse, et je commence à douter qu'il eut été meilleur à castelnaudary.
Non vraiment pour manger des bonnes truffes, enfin bonnes, des truffes qui aient du gout, il faut soit les avoir fraiches à la bonne période, soit s'adresser à une officine spécialisé dans le poisson, voir les sandwichs turcs/grecs.
Rédigé par : nicolas | mardi 28 octobre 2008 à 11:13
Moi j'aime bien la soupe ou la purée de pois cassé. Mais je comprends que l'on puisse s'en foutre
Rédigé par : P/Z | mardi 28 octobre 2008 à 11:44
Heureusement qu'il nous reste l'humour !
Rédigé par : Ozenfant | mardi 28 octobre 2008 à 17:12
C'est la crise et l'autre il va se goinfrer de truffes, et en plus il te dis qu'il est de gauche.
Rédigé par : all | mardi 28 octobre 2008 à 18:11
All,
Oui mais j'ai été bien puni puisqu'elles n'étaient pas bonnes...
Rédigé par : Hugues | mardi 28 octobre 2008 à 18:21
moi, j'aime bien foncer dans la purée de pois
Rédigé par : humour japonais | mardi 28 octobre 2008 à 18:53
A quand un article sur le nouveau caviar, l'oeuf d'escargot. A deguster a l'Escargot Montorgueil bien sur! ;D
Rédigé par : PrOB | vendredi 31 octobre 2008 à 21:56
rhô punaise, c'est compliqué, de manger une truffe!
je continuerai à aller cueillir mes champignons moi même.
j'en ai goûté (du beurre de truffe) la semaine dernière,
et j'ai pas trouvé que ça avait bien du goût, en effet.
ensuite, si c'est tellement paradisiaque, j'aime autant attendre carrément le paradis. au moins, on vous demandera pas 2000 € à chaque fois pour réactualiser votre extase.
Par contre, les hosties, même rassies, ça peut être vraiment bon.
si on est croyant et en état de grâce, ça peut réellement vous donner le goût du paradis. Le vrai. et c'est gratuit. enfin, financièrement parlant, parce que de rester en état de grâce, c'est un peu coûteux, quand même, sur d'autres plans. Mais quand on y a goûté, la truffe, le caviar, le foie gras, tout ça, croyez moi, à côté, c'est du pipi de chat. Et encore, moi, je n'y ai goûté qu'extrêmement peu, vu comme je suis quelqu'un de très pas bien. vous qui êtes des gens encore potentiellement bien, franchement, cherchez plus du côté des papilles gustatives, approfondissez plutôt ce dont elles ne sont qu'un pauvre signe.
enfin, je dis ça je dis rien, hein.
Rédigé par : do | lundi 04 juillet 2011 à 14:38