Formidable : grâce à ma nouvelle Carte Bleue aux couleurs de la Croix Rouge, je vais pouvoir donner plus d'argent à ma banque !
Ma banque, la Kerviel & Bouton SA, sait se montrer généreuse. Elle propose depuis peu à ses clients de se doter d'une Carte Bleue « caritative » et de reverser cinq centimes par transaction à leur ONG préférée. Dans les pays où le co-branding des cartes de crédit n’est soumis à aucune restriction, ce genre d’initiative est, si j'ose dire, monnaie courante : les banques américaines ou britanniques proposent d’ailleurs ces produits depuis des années et les cartes Visa ou MasterCard aux couleurs d’une association de lutte contre le SIDA ou le cancer ne surprennent plus les caissières de Wal-Mart ou de Tesco.
Mais chez nous, où l’on aime bien s’entourer de contraintes réglementaires aussi obscures que protectrices de la cupidité des entreprises, c’est nouveau et il est normal que l’on se félicite d’une telle innovation. On peut aussi remercier Bruxelles d’avoir imposé cette mise au goût du jour au GIE Carte Bleue — quasi-monopole de la distribution des cartes bancaires en France — mais c’est une autre histoire (1)…
Parce que je suis moi-même au moins aussi généreux qu’une banque capable de cramer cinq milliards d’euros sur le DAX pour la beauté du geste, j’ai décidé d’échanger ma Visa standard contre un rectangle de plastique frappé d’une splendide croix rouge. Désormais, chaque fois que je ferai l’emplette d’un machin, d’un bidule ou d’un truc, la K&B créditera le compte de la magnifique institution créée par Henri Dunant (1828-1910) — un banquier helvète qui, tout comme l’émettrice de mes carnets de chèques, aimait son prochain comme lui-même.
Formidable, non ? On imagine l’appel d’air que représente pareil système pour les ONG concernées, compte tenu du nombre de transactions Carte Bleue enregistrées chaque année dans l'Hexagone (3,68 milliards en 2007, simples retraits à un distributeur non-compris)… A ceci près que, les Français ne procédant en moyenne qu’à 91 paiements par carte entre janvier et décembre, et la banque facturant 12 euros par an la carte co-brandée, c’est le montant mirifique de 4,55 euros qui devrait être transmis à Riton et à sa copine Adriana par souscripteur, les actionnaires et dirigeants de la K&B empochant la différence de 7,45 euros ! Sans préjudice de la cotisation annuelle sur la carte, qui reste inchangée à 44 euros quand la plupart des banques européennes ne facturent pas ce service…
Bien entendu, vous pouvez toujours tenter d’atteindre, voire d’exploser le seuil des 240 paiements par an à partir duquel la banque cesse de gagner de l’argent sur cette affaire et commence effectivement à en verser à la Croix Rouge. Dépensier comme je suis, j'ai d’ailleurs toutes les chances de me retrouver dans ce cas. Mais l’idée d’un système conçu pour accroître les profits d’un établissement financier sous couvert de générosité est tout de même un peu limite.
Cela-dit, la banque fera au moins l’effort de reverser ses cinq sous par transaction à la Croix Rouge (ou aux sauveteurs de la SNSM, ou à l’Institut Pasteur, ou à la Ligue contre le cancer…) si vous vous montrez vraiment prodigue. En revanche, si votre choix s’est porté sur une carte aux couleurs de votre sport favori, vos 12 euros supplémentaires ne serviront à rien d’autre qu’à vous distinguer comme amateur de ballon rond au moment de passer à la caisse chez Franprix ! Tss, franchement, on se demande ce que fichent les types qui gèrent les droits du foot dans ce pays…
© Commentaires & vaticinations
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(1) Dans de nombreux pays, le co-branding des cartes de paiement est un instrument de fidélisation de ses propres clients et de braconnage des clients des voisins. Mais en France, où la concurrence est perçue comme diabolique, les banques s’organisent surtout pour préserver leurs parts de marché, rendre le transfert d’un compte compliqué et la comparaison de leurs tarifs impossible. C’est un peu comme dans la téléphonie mobile, où un nombre très restreint d’acteurs fige le marché et se méfie des innovations marketing ou réglementaires qui pourraient bouleverser le statu quo.
Tiens ca me rappelle un peu elton john, qui à la mort de Diana Spencer a sorti un CD deux titres , dont l'intégralité des bénéfice sur l'un des deux titres était reversé à.... Elton John, tandis que les benef sur le deuxième titre était reversé à je ne sais plus trop qui exactement.
"Mais l’idée d’un système conçu pour accroître les profits d’un établissement financier sous couvert de générosité est tout de même un peu limite."
C'est le moins que l'on puisse dire !
Dire aux gens vous payez plus cher, mais c'est pour la bonne cause, alors qu'en réalité, il y a bien peu de chance que l'organisation caritative touche le moindre centime, c'est honteux.
Heureusement, com-vat.com (et son brillant auteur) sont la, et grâce à ce billet, je ne tomberai pas dans le panneau lorsque mon banquier me proposera une carte bleue soit disant humanitaire.
Comme disait mon arrière grand mère:" dans la vie, les plus grands voleurs que l'on rencontrent se répartissent en deux catégories: les banquiers et les assureurs".
Et bien ma banque propose depuis peu des contrats d'assurance. il n'est pas impossible du tout que ça soit également le cas de la K&B :)
Rédigé par : nicolas | vendredi 18 juillet 2008 à 16:14
Que de chichi à la Sogé...
En Irlande on crée soi-même sa carte pour 10é de frais de dossier à chaque commande de carte.
http://www.permanenttsb.ie/personalise/default.asp
Rédigé par : Geabulek | vendredi 18 juillet 2008 à 16:42
sans oublier que les commerçants paient pour les paiements faits chez eux par carte bancaire.
eh Hugues, pourquoi ne verses-tu pas ces 12 euros directement à l'ONG de ton choix ?
il serait aussi intéressant de savoir comment ont été choisies les ONG "brandées". est-ce qu'elles versent une redevance pour la publicité faite par ces petits espaces portatifs et mobiles ? ce serait cocasse (c'est peut-être la différence de 7,45 euros - à moins que ce ne soient là des frais d'impression).
pas mal aussi les cartes piano ou saxophone...
Rédigé par : David | vendredi 18 juillet 2008 à 17:04
Nicolas,
Attention, l'ONG touche bien ses 5 centimes à chaque transaction dès la première. Simplement, la banque est gagnante tant que le nombre de transactions ne dépasse pas 240 sur l'année.
Geabulek,
Hé hé, amusant ça. Ici, je crois que c'est prévu pour la seconde moitié du siècle, lorsque les banques auront réussi à proposer le choix de son PIN comme les banques américaines il y a plus de 20 ans.
Rédigé par : Hugues | vendredi 18 juillet 2008 à 17:07
vous êtes mauvaises langues. je vivais il y a quelques années en Italie et on se promenait (peut-être encore, je n'ai pas fait attention les dernières fois où j'y suis allé) avec des liasses de billets dans les poches. et sabot pour les quelques uns qui avaient des cartes bancaires.
Rédigé par : David | vendredi 18 juillet 2008 à 17:10
Bien vu!
Rédigé par : Augustin | vendredi 18 juillet 2008 à 17:39
Merci de l'info !
Rédigé par : Ozenfant | vendredi 18 juillet 2008 à 18:59
Bah, c'est win-win.
La K&B gagne, la Croix Rouge gagne, et toi tu ne souscris que si tu en retires une bonne conscience qui vaut plus (pour toi) que 12€.
La collecte de fonds est pour les associations caritatives un process extrêmement complexe et onéreux. La pub, le marketing, le suivi administratif, tout cela coûte du temps et de l'argent. Du coup, pour la Croix-Rouge, un deal où elle reçoit du cash "gratuitement" en ne s'occupant de rien, c'est que du bonus.
Toi qui aimes les exceptions françaises, il y en a une belle ici : c'est l'économie d'impôts attachée à un don à une association caritative.
Dans les pays moins portés sur la complexité gratuite, le donateur donne 1 et l'association se tourne vers l'Etat pour obtenir une subvention de 1.
En France, le donateur donne 2, l'association lui envoie une attestation fiscale qu'il joint à sa déclaration d'impôts pour obtenir sa réduction d'impôts de 1.
Les "bénéfices" de l'approche gauloise sont multiples.
D'abord, c'est le donateur qui doit calculer ce que ça va lui coûter en net. Il se trouve que la réduction fiscale n'est pas de 50% mais de 60%. Et malgré les dizaines de milliards que nous consacrons annuellement à l'éducation nationale, seule une infime minorité de la population sait diviser par 0,4. Oui, si vous voulez donner en vrai 35€, il faut faire un chèque de 87€50 car vous bénéficierez d'une économie d'impôt de 52€50 qui ramènera le coût réel à 35€.
Résultat des courses, les gens se trompent, hésitent, se prennent la tête et finissent par donner moins que ce qu'ils voudraient pour être sûr de ne pas se planter, quand ils ne laissent pas carrément tomber.
Mais le principal bénéfice est qu'on triple le coût administratif du bousin. Dans le modèle simple, l'association fait un envoi global au fisc et reçoit un (gros) chèque. En France, l'association doit se taper d'imprimer ces saloperies d'attestations fiscales, avec le bon nom, la bonne adresse et le bon montant. Puis on met les (centaines de) milliers d'attestations dans des (centaines de) milliers d'enveloppes sur lesquelles on colle des (centaines de) milliers de timbres. Tout ça bien sûr doit être réalisé à temps pour que les donateurs puissent joindre l'attestation à leur déclaration fiscale.
Le donateur, lui, va recevoir un papelard plus ou moins incompréhensible qui va traîner sur son bureau pendant 2 mois avant qu'il ait le courage de faire sa déclaration d'impôts. Si l'attestation a survécu aussi longtemps aux appétits destructeurs des animaux de compagnie, des enfants en bas âge ou du personnel de ménage, il faudra la retrouver au fond d'un tiroir, identifier la bonne case à remplir dans la déclaration et ne pas oublier de la joindre à l'enveloppe. Généralement, on fera une photocopie de l'attestation au cas où le fisc prétendrait ne pas l'avoir reçue.
De son coté, le fisc va recevoir des millions de déclaration comportant une demande de réduction pour don à une association, avec la proportion habituelle de gens qui ont oublié de joindre l'attestation, qui ont oublié de remplir la case, qui ont rempli la mauvaise case, qui ont envoyé l'attestation de l'année dernière...
Pour l'association, le cauchemar n'est pas terminé. Il y a les couriers qui reviennent avec la mention "n'habite pas à l'adresse indiquée". Il y a les donateurs qui appelent parce qu'ils n'ont pas reçu l'attestation, parce qu'ils l'ont perdue, parce qu'ils ne savent pas quelle case il faut remplir, parce qu'ils n'avaient rien compris et qu'ils s'attendaient à une réduction d'impôts supérieure... A chaque fois il faut être poli, ce sont tout de même des gens qui ont donné...
Bref, le coût moyen de la gestion de ces saloperies d'attestations fiscales est de l'ordre de 5 euros par attestation.
Et pour revenir au sujet, si la K&B a proposé à la Croix-Rouge de leur verser 5€ par donateur sans leur demander d'établir ces saloperies d'attestations fiscales, ça valait bien de leur laisser 5€ de marge.
N'oublions pas que l'Etat, via la TVA, récupère 2€ au passage. Ce qui me permet de finir sur une note facécieuse en te paraphrasant.
L'idée d’un système conçu pour engraisser l'Etat sous couvert de générosité est tout de même un peu limite.
Rédigé par : Liberal | vendredi 18 juillet 2008 à 20:05
Je sais bien que les petits ruisseaux font les grandes rivières, ça ne m'empêche pas de trouver un tel système absolument grotesque, voire gerbatoire. Une générosité qui se compte en centimes... ça s'appelle de l'avarice, purement et simplement. Une générosité qui s'inscrit bien visiblement sur les moyens de paiement, pour qu'on puisse se faire remarquer comme un généreux humaniste chaque fois qu'on paie une addition (y compris quand on n'invite pas les copains), je trouve ça absolument minable (je ne dis pas ça à ton intention, Hugues, je sais bien que ta motivation est différente et que tu te damnerais pour le moindre gadget de l'économie moderne, je dis ça pour les répugnants suceurs de flouze qui ont inventé la charité ostentatoire à prix sacrifiés). Jésus-Christ recommandait de donner assez discrètement pour que "la main gauche ignore ce que fait la main droite", et ce précepte fort oublié gagnerait à être remis au goût du tour. Ces minables petits Téléthons au format carte de crédit sont à la vraie générosité ce que le sourire de votre banquier est à l'amour: une grimace obscène.
Rédigé par : Poil de lama | vendredi 18 juillet 2008 à 20:47
Libéral,
La Croix Rouge y gagne, mais le sens commun et, allez, osons le mot, la morale, voudraient tout de même que la banque n'en retire que des bénéfices marketing. Si le Français moyen n'utilise sa carte que 91 fois par an, le seuil à partir duquel la banque commence à en être de sa poche devrait être plus bas – à l'extrême limite au niveau de cette fameuse moyenne.
Je ne sous-estime d'ailleurs pas les difficultés des ONG à faire de la collecte et il faut bien trouver des moyens « automatiques », comme les prélèvements de MSF "1 euro par jour" ou ce truc avec la Société Générale. Mais franchement, l'idée que la banque puisse faire de toute cette affaire un nouveau produit à forte marge sous couvert de générosité, ça coince. D'autant plus que le client ne comprend pas le mécanisme puisque personne ne va le lui expliquer de manière suffisamment parlante. Et pour cause : même la nana à la banque ne comprenait pas ce que je lui disais.
A la limite, on donne au type qui souscrit le même rôle de pigeon qu'à celui qui est prêt à payer 12 euros en plus de ses 44 euros de « cotisation » uniquement pour avoir un footballeur sur sa carte.
Mais au final, je suis d'accord avec toi sur l'achat d'une bonne conscience à pas cher pour le souscripteur...
Poil de lama,
Ah ne commence pas avec Jésus, ou je te donne à Siné ! Ma motivation n'est pas si différente de celle des autres et j'aime bien que ma main droite soit au courant de ce que fait ma main gauche.
Si mes dépenses permettent de verser des sommes même faibles que je ne verserais pas autrement, pourquoi pas ? Oui les petits ruisseaux font les grandes rivières et une organisation comme MSF tire 80% de son budget de petites rivières. Je ne sais pas si c'est obscène, mais je sais que c'est efficace.
Rédigé par : Hugues | vendredi 18 juillet 2008 à 21:16
Vous savez la chose véritable surprenant ? C'est que notre gouvernement créateur de taxes á la con (TALC) n'est pas encore rebondi sur cette idée en décidant une généreuse contribution de 5 centimes pour la dette sur chaque transaction...
Je dis ca, je dis rien...enfin quand même, faudrait pas le crier trop fort sinon un de nos charmants bureaucrates pourrait en avoir l'idée.
Rédigé par : Niko | samedi 19 juillet 2008 à 08:21
Moi aussi j'aurais peut-être fait comme Hughes, si mon banquier m'avait fait la retape pour cette carte !
Avouez que c'est quand même infiniment moins grave, du point de vue de la générosité de façade, que le sujet que fuient (comme la peste) les bobos: Socialisme caviar, ou l’assistanat en faveur des privilégiés !
http://blog-ccc.typepad.fr/blog_ccc/2008/07/ps-caviar-ou-la.html#comments
Rédigé par : Ozenfant | samedi 19 juillet 2008 à 11:04
Client (encore maintenant) de la "K&B", j'ai fait le même calcul que Hughes, et abouti à la même conclusion.
Il aurait été plus "moral" par exemple que la SG offre des cartes personnalisées au même tarif, par exemple à ses clients ayant une certaine fidélité. Cela permettrait par exemple d'améliorer son image de marque qui en a besoin.
Même chose quand on leur demande s'ils ont des "fonds éthiques": "ce n'est pas une demande de notre clientèle".
Enfin leurs fonds "développement durable" intègrent des actions de banques, car "les principaux services non polluants, ce sont les services financiers". (on évalue pas la pollution morale, bien sûr). Résultat: on est soumis aux aléas de rendement de la spéculation immobilière, et les services non polluants et non financiers ne sont pas mieux financés.
Rédigé par : XS | samedi 19 juillet 2008 à 15:21