David Cameron veut faire traverser la Manche à nos entrepreneurs. « Même pas peur ! » réplique Michel Sapin qui présume qu’ils ne savent pas nager.
Michel Sapin est peut-être un joyeux drille dans le privé, pourquoi pas, mais en public, ses vannes ne font se bidonner que les nostalgiques de l’Almanach Vermot. Heurté par la proposition de David Cameron de «dérouler un tapis rouge» à l’intention des entrepreneurs français affolés par le tropisme anti-business (présumé) de notre nouvelle majorité, le ministre du Travail (ha!) s’est fendu d’un:
― Pff, le tapis rouge, sur la Manche, ben il coulerait puisque c’est de l’eau! (en substance, hein… Le verbatim est encore plus affligeant…)
Dans une scène de Brice de Nice, il aurait sans doute ajouté «Cassééééé!» en balayant l’espace d’un revers de manche dédaigneux mais, dans la vraie vie, ça reste limite réponse de cour de récré.
Oh, on peut penser ce qu’on veut du Premier ministre britannique, de sa coalition brinquebalante, de ses amitiés fumeuses avec la presse de caniveau, de son incapacité à redresser une économie délabrée en dépit d’une planche à billets fonctionnant à plein régime, de son obstination à sur-endetter ses étudiants jusqu’à la garde (Christine?), de son désintérêt pour la transformation du Yorkshire en Mezzogiorno septentrional, mais on ne peut certainement pas lui reprocher d’avoir compris que ce sont les ambitieux énergiques et cupides qui créent la plupart des jobs.
Personne ne sait exactement combien de Français résident effectivement en Grande-Bretagne et, sur le lot, on trouve sans doute davantage de jeunes gens améliorant leur anglais en servant des escargots dans une brasserie en toc que d’authentiques créateurs de richesses. Et vu le nombre de traders formés à Jussieu par la célèbre Nicole El Karoui et établis sur les bords de la Tamise, on y trouve même pas mal de destructeurs de valeur, mais c’est une autre histoire…
Personne ne le sait, donc, mais ce qui se voit comme le nose au milieu de la face, c’est que le Royaume-Uni demeure un endroit nettement plus propice à la création d’entreprises et à l’investissement productif que la France. C’était le cas avant la présidentielle, c’est parti pour le rester dans l’après. Moins bureaucratique et paperassière, plus ouverte aux idées et aux pratiques nouvelles, plus cruelle pour les gens fragiles aussi, l’Albion perfide est devenue l’Albion flexible.
Et ce n’est pas parce que le Périgord est saturée de sujets de Sa Gracieuse majesté que nous en sommes à un partout et qu’il s’agit juste d’une affaire de perspectives. Le «Dordogneshire», ça attire surtout des retraités ayant réalisé qu’ils pouvaient se payer un château du XVIIe avec le produit de la vente de leur deux-pièces de Birmingham. S’il faut compter sur eux pour créer des emplois ailleurs qu’à la Sécu ou dans les services de gériatrie, il va falloir attendre un peu.
Mais bon, ceci posé, peut-on se contenter, comme le fait Michel Sapin, de répondre «nananère» au Premier ministre d’un pays qui prétend accueillir les forces vives que vous préférez passer au nettoyeur haute-pression parce que gagner de l’argent, c’est indécent? J’ai lu les commentaires d’internautes sous les articles de Libé et de Rue89 consacrés à cette petite séquence et, apparemment, pour un tas de gens, la réponse est oui. Les entrepreneurs, les types qui amassent du pognon en exploitant des travailleurs, s’ils souhaitent filer à l’anglaise parce qu’ils ne veulent pas qu’on leur en prenne trop, qu’ils le fassent!
On n’a pas besoin d’eux! Non mais! Au besoin, on les poussera dehors!
Le fait est que nous l’avons déjà fait en 1685, et tous ces banquiers, industriels, et autres inventeurs honnis sont allés vérifier à Genève, à Amsterdam, à Londres (déjà!) et même de l’autre côté de l’Atlantique si l’on y respectait davantage leurs ambitions, leur philosophie et leurs choix de vie.
Bon, OK, un diplômé de l’Essec qui s’installe près du Silicon Roundabout pour monter une start-up de ventes de haricots en boîte sur le Web et échapper à la gabelle, ça n’est pas exactement pareil qu’un ébéniste huguenot qui se carapate pour éviter le supplice de la roue chez les papistes ―et encore moins qu'un banquier juif qui prend de l’avance sur l’une de ces expulsions massives dont notre histoire a le secret.
Ne nous laissons pas emporter.
Mais nous l’avons déjà fait, et on ne peut pas dire que ça nous ait vraiment profité à comparer la santé et le prestige des industries horlogères de part et d’autre du Léman... Cameron, en tout cas, a l’air d'avoir appris des livres d'histoire. Et c’est à la seconde partie de son intervention qu’on aurait aimé entendre Sapin réagir, avec ou sans vanne:
― Nous accueillerons plus d’entreprises françaises, qui paieront leurs impôts au Royaume-Uni. Ça paiera nos services publics et nos écoles…
C'est sûr, c’est tout de suite moins rigolo.
© Commentaires & vaticinations
Article rédigé pour Slate
Un truc que je ne comprends pas, dans cette tranche à 75 %. Entre 50 % (bouclier inside) et 75% il y a quoi ? Pour 1 € de revenu de trop on risque la mort fiscale, bonjour l'effet de seuil !
En effet oui tous les hauts revenus (quels salauds, ptou !)vont soit arrêter de travailler, soit demander des ressources non déclarées (genre dessous de table que réclament certains toubibs), soit se barrer.
Rédigé par : all | jeudi 21 juin 2012 à 18:06
@all
C'est une question de tranche: si le mec dépasse d'un euro le fameux million il paiera 75 centimes d'impôt en plus: ajoutant un euro à sa fiche de paye, il aura gagné réellement 25 centimes.
Sinon, vu que cette réforme fiscale cible les personnes et non les entreprises, il n'y a aucune raison que cela fasse fuir des entreprises, mais des particuliers. (je dis pas que c'est mieux ou moins bien, juste que ce n'est pas pareil).
Rédigé par : JaK | jeudi 21 juin 2012 à 18:19
@JaK
Euh, oui, mais non (va falloir que j'arrête de commencer tous mes commentaires comme ça).
Pour qu'un particulier ait un revenu de plus de 1 million d'euros, il n'y a pas tant d'options. Ce sera probablement le propriétaire d'une entreprise (ou alors un footballeur, chanteur, écrivain... mais je pense ce cas plus anecdotique). Donc même si la mesure ne vise pas les entreprises (ce qui serait le cas si on visait par exemple les impôts sur le bénéfice), au final elle vise entre autre les entrepreneurs. Certes tous ne peuvent pas déménager leurs usines. Ceux qui ne le peuvent pas vont tout simplement réduire leur activité.
Rédigé par : FrancoisC | vendredi 22 juin 2012 à 11:04
"Ceux qui ne le peuvent pas vont tout simplement réduire leur activité."
Pourquoi donc?
Les revenus au dessus de 1 million rapporteront moins qu'actuellement, mais ils continueront à rapporter.
Le fantasme français du "si je passe une tranche je perds de l'argent" m'a toujours fasciné. A croire que les gens ne paient pas l'impôt ou ne cherchent pas à savoir comment est calculer leur impôt.
Quand on passe une tranche, on gagne plus qu'avant, même après impôt. Ma vie sera financièrement plus facile si j'arrive un jour à atteindre les tranches les plus élevées du système fiscal français (ceci dit sans porter de jugement sur l'intérêt de cette réforme fiscale précise).
Rédigé par : JaK | vendredi 22 juin 2012 à 15:08
@JaK
Nous sommes d'accord que le fait de passer une tranche ne me "coûte" pas d'argent. Cela me coute des efforts. Par exemple, pour passer de 900 000 € à 1 000 000 € de revenus annuel, un chef d'entreprise doit augmenter son activité (enfin celle de son entreprise). Donc, il va devoir faire en sorte d'avoir de nouveaux clients, peut être diversifier son activité, probablement engager, investir dans d'autres techno... Pour mon cas personnel de dirigeant d'une petite SSII, ma rémunération est simplement un multiple du nombre de mes salariés.
Alors déjà passer de 900 000 à 1 000 000 ne change pas radicalement ma vie (pas autant que de passer de 100 000 à 200 000), si en plus les efforts que je fais au final ne rapporte pas autant, à quoi bon. Après tout avec 1 million d'euros, je vivrais déjà bien. A quoi bon travailler plus, pour gagner seulement un peu plus, payer beaucoup plus d'impôt et être considéré comme un salop de riche.
Rédigé par : FrancoisC | vendredi 22 juin 2012 à 18:41
Juste histoire de faire du mauvais esprit : la plupart de ces entrepreneurs français et autres traders londoniens formés à l'Ecole El-Karoui ont bénéficié d'un système scolaire très généreux (quasi gratuit). Je n'ai jamais rencontré de français avec des dettes étudiantes de 30 000 euros comme on voit quotidiennement des américains avec des dettes étudiantes de 30 000 dollars.
Je ne sais pas comment ça marche pour les Anglais, mais il me semble qu'ils ne sont pas les derniers à augmenter les frais de scolarité et à saccager leur système de recherche fondamental (trop cher la recherche), mais à lire les uns et les autres, cela n'a pas l'air de compter plus que ça pour la croissance future. Il est vrai que cela coûte beaucoup moins cher d'investir dans le brain drain. Bravo Mr Cameron : attirer les gens gratuitement formés ailleurs et n'ayant pas le boulet de la dette édudiante, voilà l'exemple à suivre pour le monde entier et applaudi dans la patrie de Lumières Universalistes.
(et parfois, je me dis que tant qu'à créer des lignées de traders polytechniciens, on devrait leur faire payer une bonne grosse pantoufle proportionnelle à leurs revenus)
Rédigé par : Tom Roud | dimanche 24 juin 2012 à 04:39
@ FrancoisC et JaK : on peut discuter sur le caractère un peu ou profondément désincitatif de la fiscalité des plus de 1 M€ par an. J'observe toutefois que la remarque sur l'aspect "entreprise" n'est pas neutre : si 1 entreprise = 1 personne, pas de problème. Le hic, c'est qu'il peut y avoir plusieurs employés. Et que si je me déplace, il va soit me falloir les convaincre de déménager, soit avoir la conviction de trouver à l'arrivée des employés de même qualité sans être plus onéreux.
Rédigé par : Cimon | lundi 25 juin 2012 à 15:04